Une lecture « cumulative » des 5 ans de titre de séjour pour la carte professionnelle d’agent privé de sécurité : vers un tournant jurisprudentiel  ?

Dans un jugement récent, rendu le 11 février 2025, le Tribunal administratif de Lyon adopte une position inattendue et contredit la lecture stricte qu’avait retenue le juge des référés du Conseil d’État dans sa décision du 24 avril 2023, comme je l’avais évoqué dans mon précédent article. Pour rappel, la Loi sécurité globale du 25 mai 2021 impose, via l’article L.612-20 du Code de la sécurité intérieure, qu’un étranger non ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, justifie d’une détention d’un titre de séjour depuis au moins cinq ans pour obtenir la carte professionnelle d’agent privé de sécurité. Jusqu’alors, la jurisprudence exigeait que cette détention s’exerce de manière continue.

Un rejet initial fondé sur une brève interruption 

Dans l’affaire examinée, le requérant, ressortissant sénégalais vivant en France depuis 2015, se voit confronté à un refus de renouvellement de sa carte professionnelle par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). L’argument avancé : entre le 5 décembre 2020 et le 5 avril 2021, l’intéressé ne détenait pas formellement de titre de séjour, ni aucune attestation régularisant son séjour en France, en raison notamment de retards administratifs et de la difficulté à obtenir un rendez-vous en préfecture en pleine crise sanitaire.

Un texte équivoque

Pour mémoire, l’article L.612-20 du Code de la sécurité intérieure impose une détention « depuis au moins cinq ans », sans préciser la nécessité d’une continuité stricte. Or, c’est sur ce point que le Tribunal administratif de Lyon apporte une lecture différenciée : en considérant que l’interruption était « extrêmement brève » et principalement due à des circonstances exceptionnelles, la juridiction admet la possibilité de cumuler l’ensemble des périodes de régularité pour calculer la durée totale.

Reste à savoir si cette lecture “cumulative” de l’obligation ne vaut que dans les cas de circonstances exceptionnelles – comme la pandémie de Covid-19 ou toute autre situation rendant objectivement difficile le renouvellement d’un titre de séjour –, ou si elle pourrait être étendue à des interruptions moins justifiées. Cette question conditionnera la portée concrète de la solution adoptée par le Tribunal administratif de Lyon et pourrait faire l’objet d’un examen plus poussé par le juge d’appel, en cas de recours du Conseil national des activités privées de sécurité.

Quel avenir pour cette jurisprudence ? 

Il reste à savoir si le CNAPS portera l’affaire devant la juridiction d’appel. Dans l’hypothèse d’une procédure en appel, c’est alors une analyse plus approfondie du texte législatif et de la volonté du législateur qui sera à l’ordre du jour. Doit-on considérer que « cinq ans » implique nécessairement une continuité ? Ou bien la finalité du dispositif (s’assurer de la probité et de la moralité des intéressés sur une période significative) justifie-t‑elle qu’on prenne en compte toutes les années de présence légale, même en cas de brève interruption ?

Il convient de rappeler que l’objectif du législateur, lors de l’adoption de la Loi sécurité globale, consistait essentiellement à vérifier le comportement et l’intégration du demandeur sur un laps de temps suffisamment long (Conseil constitutionnel, n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, cons. 45). L’absence de mention explicite quant à la continuité ouvre donc la porte à une interprétation plus souple, comme le démontre la position du tribunal lyonnais.

Conclusion 

La décision du 11 février 2025 soulève ainsi un débat sur la portée exacte de la durée de détention et sur la latitude laissée aux juges pour l’interpréter. Une future étape en appel permettra certainement de trancher la question de manière plus pérenne. En attendant, ce jugement constitue un espoir pour les demandeurs étrangers dont les parcours administratifs ont pu être temporairement interrompus pour des raisons indépendantes de leur volonté.

Tribunal administratif de Lyon, 6ème Chambre, 11 février 2025, 2304765

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