Contexte général
En France, l’accès au métier d’agent de sécurité privée est strictement encadré par le Code de la sécurité intérieure (CSI). Parmi les conditions figure notamment une exigence de résidence prolongée pour les candidats étrangers hors Union européenne. Ainsi, « Nul ne peut être employé ou affecté pour participer à une activité [de sécurité privée] : (…) 4° bis Pour un ressortissant étranger ne relevant pas de l’article L. 233-1 du même code, s’il n’est pas titulaire, depuis au moins cinq ans, d’un titre de séjour ». Autrement dit, un étranger non européen doit justifier de cinq années de séjour régulier en France avant de pouvoir exercer dans la sécurité privée. Cette règle vise à s’assurer d’une certaine stabilité du statut des agents de sécurité non ressortissants de l’Espace économique européen.
Parallèlement, un engagement international ancien pourrait sembler accorder un régime plus favorable aux ressortissants algériens. En effet, l’article 7 de la Déclaration de principes du 19 mars 1962 issue des accords d’Évian (conclus lors de l’indépendance de l’Algérie) prévoit que « Les ressortissants algériens résidant en France […] auront les mêmes droits que les nationaux français, à l’exception des droits politiques ». Ces stipulations établissent un principe d’égalité de traitement entre Français et Algériens pour tous les droits civils, économiques et sociaux (hors droits de vote, éligibilité et autres droits politiques).
L’enjeu pratique est donc le suivant : les Algériens souhaitant devenir agents de sécurité privés peuvent-ils échapper à la condition des cinq ans de séjour grâce à l’égalité de traitement garantie par les accords d’Évian ? Pour les employeurs et organismes de formation du secteur de la sécurité privée, la question est cruciale. De nombreux candidats d’origine algérienne résident en France, et il s’agit de savoir si l’on peut les recruter ou les former sans exiger cette ancienneté de séjour. Un conflit de normes est apparu entre le droit interne (CSI) et le droit international (accords d’Évian), donnant lieu à des interprétations divergentes en justice. Dans un premier temps, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait fait prévaloir l’égalité de traitement issue des accords d’Évian. Plus récemment, la cour administrative d’appel de Nantes a adopté la position inverse, confirmant l’application du droit commun aux ressortissants algériens. Examinons ces deux décisions successives avant d’en dégager les conséquences pratiques pour les professionnels.
Le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (6 novembre 2024)
La première décision marquante émane du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, saisi par un ressortissant algérien que le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) avait refusé d’autoriser à entrer en formation d’agent de sécurité. Motif du refus : l’intéressé ne remplissait pas la condition de cinq ans de titre de séjour en France (prévue au 4° bis de l’article L. 612-20 du CSI). Devant le tribunal, le requérant a fait valoir que cette exigence méconnaissait l’article 7 des accords d’Évian, qui prohibe toute discrimination à son égard par rapport aux Français.
Le tribunal administratif a donné raison au candidat algérien et a écarté l’application de la règle des cinq ans de séjour. Il a souligné en substance que cette condition crée une différence de traitement injustifiée entre Algériens et Français pour l’accès à la profession d’agent de sécurité privée. En effet, les ressortissants français n’ont évidemment pas à justifier d’une telle durée de séjour, alors qu’elle était imposée au requérant uniquement du fait de sa nationalité étrangère. Or, l’exercice de la profession d’agent de sécurité privée n’entre pas dans le champ des “droits politiques” exclus par l’article 7 de la Déclaration de 1962, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une activité professionnelle civile ordinaire. Le bénéfice de l’égalité de traitement prévue par les accords d’Évian pouvait donc jouer à plein dans ce domaine.
Partant, le tribunal a jugé que les dispositions du 4° bis de l’article L. 612-20 CSI « contreviennent aux stipulations de l’article 7 » des accords d’Évian et doivent être écartées pour les ressortissants algériens. Autrement dit, la norme internationale étant supérieure à la loi interne (conformément à l’article 55 de la Constitution), le juge administratif de Châlons a fait prévaloir l’accord franco-algérien de 1962 sur le code de la sécurité intérieure. Il en a tiré les conséquences concrètes en annulant la décision du CNAPS : le refus d’autorisation opposé au candidat algérien a été jugé illégal, car fondé sur une condition jugée inopposable aux Algériens.
Le jugement de Châlons-en-Champagne a constitué un signal fort en faveur des ressortissants algériens, semblant leur ouvrir immédiatement l’accès aux emplois de la sécurité privée dès lors qu’ils possèdent un titre de séjour, sans attendre cinq ans. Cependant, cette solution n’allait pas tarder à être remise en cause par la Cour administrative d’appel de Nantes.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes (26 septembre 2025)
Saisie d’une affaire similaire, la cour administrative d’appel (CAA) de Nantes a adopté une analyse diamétralement opposée. L’affaire concernait cette fois un agent de sécurité privée algérien, titulaire d’une carte professionnelle qu’il souhaitait faire renouveler. Entre temps, sa situation personnelle avait évolué : naturalisé français en 2016, il avait ensuite perdu la nationalité française par décret en 2019, redevenant ressortissant algérien soumis aux règles de séjour. Lors du renouvellement en 2022, le CNAPS lui a refusé la nouvelle carte professionnelle au motif qu’il ne remplissait pas la condition de cinq ans de titre de séjour en France. L’intéressé a contesté ce refus, d’une part en arguant avoir bien cumulé cinq années de titres de séjour, d’autre part en invoquant, comme dans l’affaire précédente, les stipulations de l’accord d’Évian de 1962.
Sur le premier point (appréciation factuelle des « cinq ans »), la cour de Nantes a confirmé l’interprétation stricte de la condition de l’article L. 612-20 4° bis. Elle considère que le candidat devait justifier de cinq années de titres de séjour valables et ininterrompues à la date de la décision de refus. En l’occurrence, il existait une interruption dans la situation de M. B… : après la perte de sa nationalité française en mai 2019, il n’a obtenu un nouveau titre de séjour qu’en février 2021, ce qui a créé une période d’environ 20 mois sans titre valide. La cour souligne que le fait d’avoir détenu une carte professionnelle de 2017 à 2022 ne dispense pas le requérant de prouver qu’il disposait d’un titre de séjour durant toute cette période. Faute de continuité sur cinq ans de ses documents de séjour, l’intéressé ne remplissait pas la condition légale en octobre 2022, date du refus de renouvellement. Le CNAPS n’avait donc commis ni erreur de fait ni erreur de droit en appliquant strictement le critère des cinq années.
Sur le second point (portée de l’accord d’Évian), la Cour administrative d’appel de Nantes s’est écartée de l’interprétation du Tribunal de Châlons-en-Champagne. Certes, elle reconnaît l’existence de l’article 7 de la Déclaration du 19 mars 1962 et son principe d’égalité de traitement entre Algériens et Français (hors droits politiques). Cependant, la cour estime que ce principe général doit être concilié avec le cadre juridique spécifique régissant l’entrée et le séjour des Algériens en France. En effet, depuis 1962, les relations migratoires entre la France et l’Algérie sont principalement gouvernées par un accord bilatéral distinct : l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 (et les conventions qui l’ont modifié). Cet accord de 1968, toujours en vigueur, établit les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et à y exercer une profession, ainsi que la nature des titres de séjour pouvant leur être délivrés. Autrement dit, les modalités d’immigration et de travail des Algériens en France font l’objet d’un régime particulier, dérogatoire au droit commun des étrangers, et négocié entre les deux pays.
Dans ce contexte, la CAA de Nantes considère que la condition légale de cinq ans de séjour s’insère dans le cadre de l’accord de 1968 et ne méconnaît pas l’égalité de traitement de l’accord de 1962. La cour relève que l’accord de 1968 (spécifique) prévaut pour définir les droits des Algériens en France en matière de séjour et d’emploi, reléguant l’article 7 de 1962 à un principe général qui ne prime pas sur ces dispositions particulières. Par suite, le fait d’imposer aux ressortissants algériens de justifier d’un titre de séjour depuis au moins cinq ans n’est pas contraire aux stipulations de l’article 7 de la Déclaration du 19 mars 1962. La cour écarte donc l’argument tiré des accords d’Évian : selon elle, les Algériens doivent, comme tous les ressortissants d’États tiers, se conformer aux exigences du code de la sécurité intérieure pour exercer dans la sécurité privée.
En conclusion, l’arrêt du 26 septembre 2025 de la CAA confirme la légalité du refus opposé par le CNAPS. Le requérant n’obtient pas le renouvellement de sa carte professionnelle, faute d’avoir pu démontrer cinq années de séjour régulier immédiatement antérieures, et ne peut se prévaloir d’aucune exemption au titre des accords d’Évian.
Conséquences pratiques de l’arrêt du 26 septembre 2025
Pour les employeurs et les centres de formation en sécurité privée, la décision de la cour administrative d’appel de Nantes apporte une clarification juridique importante. Elle consacre, au moins pour le moment, la primauté du droit commun sur l’argument tiré des accords d’Évian en ce qui concerne les conditions d’accès à la profession d’agent de sécurité privée. En d’autres termes, un candidat algérien est soumis aux mêmes exigences que n’importe quel ressortissant étranger non européen.
Ce qu’il faut retenir :
-
Condition de séjour maintenue : Un Algérien qui souhaite obtenir une autorisation d’entrée en formation ou une carte professionnelle d’agent de sécurité doit justifier de cinq ans de séjour régulier en France, de manière continue, au même titre que les autres étrangers non-UE. Aucune dispense générale ne peut être tirée de l’article 7 des accords d’Évian, la règle du 5 ans de titre de séjour demeure la norme de référence.
-
Vigilance des organismes de formation : Les centres de formation habilités par le CNAPS devront continuer à vérifier, avant d’admettre un candidat algérien, qu’il remplit bien cette condition de résidence. Faute de quoi, le CNAPS refusera l’autorisation préalable d’accès à la formation. Il est donc conseillé d’exiger des pièces justificatives de séjour dès l’inscription en formation professionnelle.
-
Sécurité juridique pour les employeurs : Les sociétés de sécurité privée peuvent se fonder sur la jurisprudence actuelle pour leurs recrutements. Il n’est pas possible d’embaucher légalement un ressortissant algérien ne disposant pas d’un titre de séjour depuis au moins cinq ans, car il ne pourra pas obtenir ou conserver sa carte professionnelle. Inversement, un candidat algérien présent en France depuis plus de cinq ans et titulaire d’un titre de séjour en cours de validité remplit les conditions légales, et son recrutement ne devrait pas être entravé.
-
Évolution possible : L’arrêt de la CAA de Nantes fait désormais figure de référence jurisprudentielle en la matière. Sauf revirement par une autre cour administrative d’appel ou par une décision du Conseil d’État, la solution issue de cet arrêt a vocation à s’appliquer sur tout le territoire. Il sera intéressant de surveiller d’éventuels pourvois ou décisions futures : la haute juridiction administrative pourrait être amenée, le cas échéant, à trancher définitivement l’articulation entre l’accord de 1962 et celui de 1968. En attendant, les professionnels de la sécurité privée ont tout intérêt à se conformer à la position validée par la CAA de Nantes.
En somme, la situation juridique actuelle peut être résumée ainsi : un ressortissant algérien n’est pas dispensé de la condition de cinq ans de séjour pour devenir agent de sécurité privée en France. L’égalité de traitement proclamée en 1962 ne lui confère pas un passe-droit face aux règles du code de la sécurité intérieure, celles-ci étant jugées compatibles avec les engagements internationaux de la France envers l’Algérie. Cette clarification, apportée par la décision du 26 septembre 2025, permet aux acteurs du secteur de la sécurité privée d’appliquer la réglementation avec davantage de certitude et d’uniformité. Les employeurs et formateurs savent désormais à quoi s’en tenir : le critère d’ancienneté de séjour s’impose à tous les candidats extra-européens, y compris algériens, pour garantir un exercice conforme et légal des activités privées de sécurité.
Cour administrative d’appel de Nantes, 4ème Chambre, 26 septembre 2025, 24NT01235