Société de sécurité privée dirigée par une personne morale : le CNAPS peut-il refuser l’autorisation d’exercice ?

L’autorisation d’exercer délivrée par le CNAPS est indispensable pour toute entreprise souhaitant proposer des prestations de sécurité privée. Encore faut-il que cette société soit dirigée par une personne physique titulaire d’un agrément. Mais qu’en est-il lorsqu’une société est présidée par une autre société (personne morale), elle-même dirigée par une personne physique agréée ? Dans un arrêt du 5 juin 2025 ( CAA Lyon, 6e ch., 5 juin 2025 ), la cour administrative d’appel de Lyon apporte un éclairage important sur ce point, en annulant un refus d’autorisation fondé sur une lecture trop rigide des textes par le CNAPS. Cette décision clarifie les exigences applicables en cas de direction indirecte et rappelle l’articulation entre droit de la sécurité privée et droit des sociétés.

 

Contexte de l’affaire Dom Sécurité France (CAA Lyon, 5 juin 2025)

Le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) est l’autorité chargée de délivrer les autorisations d’exercice aux entreprises de sécurité privée et les agréments de dirigeant aux personnes qui les dirigent. En l’espèce, la société Dom Sécurité France (forme SAS) s’est vu refuser par le CNAPS l’autorisation d’exercer pour son établissement secondaire de Saint-Priest au motif que son dirigeant n’était pas une personne physique agréée. En effet, Dom Sécurité France a pour président une autre société (la SAS Groupe Dom) au lieu d’un individu directement. Le CNAPS a considéré que cette structure violait le Code de la sécurité intérieure, qui exige qu’une société de sécurité privée soit dirigée par une personne physique titulaire de l’agrément prévu à l’article L.612-6 du CSI. Dom Sécurité France a contesté ce refus devant le juge administratif.

Issue principale  : Une société de sécurité privée peut-elle obtenir son autorisation d’exercer si son représentant légal est une personne morale (une autre société) dont le dirigeant (personne physique) dispose d’un agrément ? Ou bien faut-il, comme le soutenait le CNAPS, que le dirigeant soit directement une personne physique agréée ? L’affaire posait donc la question de l’articulation entre les exigences du Code de la sécurité intérieure et le droit des sociétés (notamment l’article L.227-7 du Code de commerce sur les SAS dirigées par une personne morale).

Exigences légales : autorisation d’exercer et agrément du dirigeant

Autorisation d’exercice  : Les entreprises de sécurité privée doivent obtenir une autorisation administrative pour exercer, distinctement pour chaque établissement (siège et établissements secondaires). Cette obligation s’applique aux personnes morales tout comme aux entrepreneurs individuels, sous peine d’illégalité de l’activité exercée. Par exemple, dans une affaire de 2023, la SAS JDC avait été sanctionnée pour avoir fourni des prestations de sécurité sans détenir l’autorisation pour son siège ni pour ses 41 agences, et sans que ses dirigeants soient agréés. Le respect de l’autorisation d’exercer vise à garantir la régularité et la moralité des acteurs de la sécurité privée.

Agrément du dirigeant  : En parallèle, nul ne peut diriger ou gérer une société de sécurité privée s’il n’est titulaire de l’agrément prévu à l’article L.612-6 du Code de la sécurité intérieure. Cet agrément est une forme de « casier judiciaire vierge » et de vérification de la probité/professionnalisme du dirigeant. Il est délivré uniquement aux personnes physiques après enquête (contrôle de moralité, aptitude professionnelle, etc.), ce qui ressort du texte et de sa mise en œuvre réglementaire. Autrement dit, chaque société de sécurité doit avoir, à sa tête, un individu agréé par le CNAPS. Les supports officiels du CNAPS soulignent d’ailleurs que «  la personne morale doit avoir pour dirigeant ou gérant une personne physique titulaire d’un agrément délivré par le CNAPS  ».

Ainsi, le cadre légal cherche à éviter qu’une personne non habilitée (par exemple ayant des antécédents incompatibles avec la sécurité privée) ne prenne le contrôle d’une entreprise de sécurité par quelque artifice que ce soit.

La particularité d’une SAS présidée par une personne morale

Le cas Dom Sécurité France mettait en lumière une situation atypique mais légale en droit des sociétés : une SAS dont le président est lui-même une personne morale (la SAS Groupe Dom). Ce montage est autorisé par le Code de commerce. En effet, une société par actions simplifiée peut être dirigée par une autre société, à condition que cette dernière désigne un représentant permanent (personne physique) pour exercer la fonction en son nom. Selon l’article L.227-6 du Code de commerce, la société présidente est investie des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la SAS. Et l’article L.227-7 du même code précise que lorsqu’une personne morale est nommée présidente ou dirigeante d’une SAS, les dirigeants de cette personne morale sont soumis aux mêmes conditions, obligations et responsabilités que s’ils étaient dirigeant en leur nom propre.

Interprétation jurisprudentielle  : La jurisprudence constante de la Cour de cassation considère que dans une telle configuration, c’est la personne morale qui assure la représentation légale de la SAS par l’intermédiaire de ses propres dirigeants. Ces derniers doivent être traités comme dirigeants de droit de la SAS pour l’application des obligations et responsabilités. Autrement dit, on ne peut pas échapper aux obligations légales du dirigeant en interposant une société-écran. Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’en application de l’article L.227-7, le dirigeant de la société présidente «  ne peut qu’avoir également la qualité de dirigeant de droit  » de la SAS qu’elle préside. Ce principe vise à éviter les fraudes ou les contournements de responsabilité en cascades de sociétés.

Position du CNAPS versus argument de la société

Dans l’affaire Dom Sécurité :

  • Le CNAPS a adopté une lecture stricte du CSI : pour lui, Dom Sécurité France n’avait pas de dirigeant personne physique titulaire de l’agrément, puisque son président était une personne morale. Il importait peu qu’en pratique la société Groupe Dom soit elle-même dirigée par M. A… B…, lequel disposait bien d’un agrément en qualité de dirigeant de société de sécurité privée. Aux yeux du CNAPS, «  peu importe que le président de Groupe Dom soit M. B… agréé  », cela reste insuffisant car M. B… n’est pas directement le président de Dom Sécurité France. En somme, le CNAPS exigeait une concordance formelle : l’entité titulaire de l’autorisation (Dom Sécurité) doit avoir pour représentant légal immédiat une personne physique agréée, sans interposition d’une société tierce.
  • La société Dom Sécurité France, au contraire, soutenait en creux que la présence de M. B… en tant que dirigeant de sa société mère suffisait à satisfaire aux obligations. M. B… disposait d’un agrément dirigeant valide jusqu’en septembre 2024. En application de l’article L.227-7 C. com., il était logiquement soumis aux «  mêmes conditions et obligations  » que s’il dirigeait Dom Sécurité France en son nom propre. Donc exiger qu’il soit directement président de la filiale aurait été formaliste, puisque matériellement il assumait déjà la responsabilité et les obligations du dirigeant vis-à-vis de Dom Sécurité France. L’agrément dirigeant de M. B… devait donc bénéficier à la filiale.

Décision de la Cour administrative d’appel de Lyon

La Cour administrative d’appel de Lyon a donné raison à la société, confirmant le jugement de première instance. Elle a annulé le refus du CNAPS et ordonné que l’autorisation d’exercer soit délivrée à Dom Sécurité France pour son établissement de Saint-Priest. Voici les principaux enseignements de son arrêt :

  • Interprétation téléologique du CSI  : Sur le fond, la Cour a procédé à une lecture combinée du Code de la sécurité intérieure et du Code de commerce. Elle rappelle d’abord l’exigence de l’agrément dirigeant pour quiconque dirige une entreprise de sécurité privée. Elle souligne ensuite ce qu’implique l’article L.227-7 C. com. : dans le cas d’une SAS dirigée par une personne morale, le dirigeant de cette dernière assume en réalité la fonction de dirigeant de la première. Cela signifie que le représentant de la personne morale présidente est soumis aux mêmes obligations légales que s’il était lui-même président. Or, parmi ces obligations figure précisément celle d’être titulaire de l’agrément CNAPS lorsqu’on dirige une entreprise de sécurité.
  • Application au cas concret  : Étant établi que M. B…, dirigeant de la SAS Groupe Dom (présidente de Dom Sécurité France), disposait bien de l’agrément valide au moment de la décision contestée, la Cour estime que la condition légale était remplie. Dom Sécurité France était donc, in fine, dirigée par une personne agréée, même si indirectement. Le CNAPS ne pouvait légalement refuser l’autorisation d’exercer «  quand bien même la SAS Dom Sécurité France n’était pas directement dirigée par une personne physique  ». Cette formule, tirée de l’arrêt, résume bien la solution : le droit des sociétés permet une direction par personne interposée sans méconnaître le droit de la sécurité intérieure, dès lors que l’obligation d’agrément du dirigeant est satisfaite par le biais du représentant permanent.
  • Rejet du formalisme excessif  : La CAA rejette ainsi l’argumentation littéraliste du CNAPS. Elle privilégie une approche finaliste conforme à l’objectif de la loi (s’assurer de la probité du dirigeant réel). Exiger que l’organigramme soit modifié pour mettre directement M. B… à la tête de Dom Sécurité eût été une vision formaliste et contraire à l’économie du droit des sociétés. La Cour indique clairement que le stratagème d’une présidence par personne morale ne permet pas d’éluder l’obligation d’agrément, mais que, inversement, il n’y a pas lieu d’exiger davantage que ce que requiert la loi. Ici, la loi requiert un dirigeant agréé ; M. B… l’était – mission accomplie. Le CNAPS est donc «  non fondé  » à soutenir que l’annulation prononcée en première instance était erronée.

Portée et implications de l’arrêt

Convergence droit public / droit des sociétés  : La décision illustre une harmonisation bienvenue entre le droit public de la sécurité intérieure et le droit privé des sociétés. Le CNAPS, en tant qu’autorité administrative, devra intégrer cette lecture dans ses pratiques. Il ne pourra plus refuser une autorisation d’exercer au seul motif qu’une société de sécurité est dirigée via une personne morale, si la personne physique qui pilote effectivement cette dernière est dûment agréée. On peut s’attendre à ce que les formulaires et instructions du CNAPS évoluent pour demander, le cas échéant, les références de l’agrément du dirigeant de la personne morale mandataire. En pratique, la vigilance du CNAPS devra porter sur l’identité du représentant permanent de la personne morale dirigeante, afin de vérifier son agrément, plutôt que de s’arrêter à la forme sociale du dirigeant.

Conseil aux professionnels  : Pour les entreprises de sécurité privée, cet arrêt apporte de la sécurité juridique. Si vous avez une structure de groupe (holding dirigeante), assurez-vous que le dirigeant de votre holding dispose bien de son agrément CNAPS et qu’il est mentionné comme représentant légal. Tant que c’est le cas, votre autorisation d’exercer ne devrait pas être compromise du fait de l’interposition d’une personne morale. À défaut, le CNAPS pourrait légitimement s’y opposer, comme ce fut le cas initialement ici. Rappelons que l’agrément dirigeant est valable 5 ans et doit être renouvelé en temps voulu, y compris pour le dirigeant de la société-mère, afin d’éviter toute interruption dans les autorisations d’exercer.

En résumé , l’arrêt CAA Lyon, 5 juin 2025, Dom Sécurité France concilie les textes en posant qu’«  nul ne peut diriger une société de sécurité sans agrément  », mais que si la société est dirigée par une autre société, le dirigeant personne physique de cette dernière fait foi. Cette solution renforce la cohérence du système : on contrôle bien la moralité des personnes qui dirigent effectivement les activités de sécurité privée, sans s’embarrasser d’un carcan formaliste. C’est une décision rassurante pour les acteurs du secteur organisés en groupes de sociétés, et un rappel pour le CNAPS d’appliquer la loi avec discernement et non par excès de rigidité.

Sources : Cour administrative d’appel de Lyon, 6ème ch., 5 juin 2025, n°24LY01569; Code de la sécurité intérieure, art. L.612-6 et L.612-9; Code de commerce, art. L.227-7; Cour de cassation, com., 20 nov. 2024, n°23-17.842; CAA Bordeaux, 2ème ch., 7 déc. 2023, n°21BX04535

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