CNAPS et procédure de contrôle : sanction disciplinaire annulée pour non-respect de l’obligation de remise « sans délai » du compte rendu

Dans un arrêt n° 23TL01260 du 26 février 2025, la Cour administrative d’appel de Toulouse annule la sanction prononcée par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) à l’encontre de la société TotalÉnergies Marketing France. Elle juge que le CNAPS a méconnu l’exigence figurant à l’article L.634-3 du code de la sécurité intérieure (CSI), laquelle impose la remise « sans délai » d’un compte rendu contradictoire à l’issue de tout contrôle.
Cadre légal : l’article L. 634-3 du CSI et son objet
Texte de l’article L. 634-3 du CSI :
- «
Les agents du Conseil national des activités privées de sécurité peuvent demander communication de tout document nécessaire à l'accomplissement de leur mission, quel qu'en soit le support, et en prendre copie. Ils peuvent recueillir, sur place ou sur convocation, tout renseignement et toute justification utiles. Ils peuvent consulter le registre unique du personnel prévu à l'article L. 1221-13 du code du travail. Ils peuvent, à la demande du directeur du Conseil national des activités privées de sécurité, être assistés par des experts désignés par l'autorité dont ceux-ci dépendent.
Il est dressé contradictoirement un compte rendu du contrôle réalisé en application du présent article dont une copie est transmise sans délai au responsable de l'entreprise contrôlée. »
L’esprit de cette disposition est d’organiser un échange contradictoire aussi tôt que possible, afin que l’entreprise contrôlée prenne immédiatement connaissance des faits observés, de leur qualification éventuelle, ainsi que des éléments collectés par le CNAPS (documents, témoignages, photos, etc.). Cette exigence a pour finalité :
- De garantir un droit de réponse effectif : le responsable de l’établissement ou son représentant doit pouvoir apporter des compléments d’information, corriger d’éventuelles erreurs factuelles, ou encore produire des justificatifs oubliés par les agents de contrôle.
- De prévenir toute altération ou dilution des preuves : un compte rendu tardif fait courir le risque de perdre des éléments de preuve ou de mettre l’entreprise dans l’incapacité de répondre à des constatations qui ne sont plus vérifiables dans les mêmes conditions qu’au moment du contrôle.
- De renforcer la transparence et la loyauté des opérations de contrôle : la communication rapide du compte rendu permet aux deux parties de disposer des mêmes informations dès le début de la procédure, réduisant les asymétries d’information pouvant nuire au droit de la défense.
En somme, le législateur entend éviter tout décalage temporel qui pourrait compromettre la participation active de l’entreprise à la procédure et donc l’effectivité du principe du contradictoire.
Les faits : une transmission du compte rendu retardée de plusieurs mois
Dans l’affaire jugée, le CNAPS reprochait à la société TotalÉnergies Marketing France :
- D’avoir mis en place un service interne de sécurité en l’absence d’autorisation préalable.
- D’employer un salarié pour des missions de surveillance sans carte professionnelle.
Au cours d’une visite de contrôle, les agents du CNAPS ont relevé divers éléments (filtrage d’accès, caméras, présence d’un agent polyvalent supposé exercer des tâches de gardiennage). Cependant, la copie du compte rendu de la visite a été transmise plusieurs mois après la date de la constatation. La Cour administrative d’appel de Toulouse censure ce retard et considère qu’il porte atteinte à la garantie prévue par l’article L. 634-3 du CSI : sans remise rapide, l’entreprise ne peut pas formuler ses observations ou contester les constats dans un délai permettant un véritable débat contradictoire.
Interprétation par le juge administratif de l'obligation de remise du compte-rendu « sans délai »
Un intervalle temporel très bref
L’expression « sans délai » implique que la notification doive se faire au moment du contrôle ou peu de temps après – dans la pratique, aussitôt que les agents finalisent matériellement le compte rendu. L’objectif est de permettre à l’entreprise d’exercer son droit de réponse alors que les faits sont encore d’actualité et facilement vérifiables.
Quelle marge de manœuvre ?
- Quelques heures ou quelques jours : un léger décalage, rendu nécessaire par la mise en forme administrative du compte rendu, est généralement toléré, à condition que l’entreprise puisse rapidement réagir sur le fond.
- Plusieurs semaines ou mois : au-delà d’un certain délai, le CNAPS s’expose à une annulation de la sanction si l’entreprise prouve qu’elle n’a pas pu présenter, à temps, sa version des faits ou des pièces justificatives.
Dans l’arrêt commentée, la Cour souligne que la différence de plusieurs mois entre le contrôle et la remise du compte rendu est incompatible avec l’idée d’une communication rapide et prive l’entreprise d’une garantie essentielle.
Un vice de procédure substantiel : annulation de la sanction
En droit administratif, une irrégularité procédurale entraîne l’annulation de la décision lorsqu’elle a pu priver l’intéressé (ici, l’entreprise) d’une garantie ou influer sur le sens de la décision (Conseil d'Etat, jurisprudence Danthony).
Le retard dans la transmission du compte rendu a, selon la Cour, privé la société contrôlée du bénéfice du contradictoire, c’est-à-dire de la possibilité de discuter immédiatement les faits reprochés. La sanction disciplinaire prononcée se retrouve donc annulée, indépendamment de la matérialité des infractions qui pouvaient être par ailleurs reprochées.
Une leçon de rigueur pour les contrôles du CNAPS
Pour le CNAPS :
- Il est impératif de formaliser le compte rendu à la fin de la visite (ou dans un délai extrêmement court) et de le remettre immédiatement au responsable du site contrôlé.
- Faute de quoi, toute sanction ultérieure s’expose à un risque sérieux d’annulation pour vice de procédure.
Pour les entreprises :
- Cette jurisprudence permet de contester utilement une sanction si le principe de l’article L. 634-3 du CSI n’est pas respecté.
- Il convient toutefois de démontrer un délai réel et significatif de transmission et de prouver que cette lenteur a empêché une défense ou une contestation rapide et efficace.
Cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse insiste sur l’importance du respect scrupuleux des garanties procédurales en matière de contrôle et de discipline. La mention « sans délai » ne relève pas d’une simple formalité, mais d’une exigence substantielle : c’est précisément dans les heures ou les tout premiers jours qui suivent le contrôle que la discussion doit avoir lieu, assurant ainsi un traitement équitable des griefs et évitant tout déséquilibre entre l’autorité de contrôle et l’entreprise contrôlée.
Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème Chambre, 26 février 2025, 23TL01260
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